Saint-Émilion et le Couvent des Jacobins

Cet établissement fait partie de ces lieux dont l’âme fige irrésistiblement son empreinte dans la mémoire de ceux qui le visitent.


Par Corinne Bénichou

Il faut remonter au quatorzième siècle alors que les Jacobins arrivent sur un domaine beaucoup plus vaste. Leur mission était d’accueillir les pèlerins empruntant le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. À l’époque, il y avait une trentaine de moines qui cultivaient la vigne. Aujourd’hui il ne reste qu’une seule parcelle dans le village. 

À la révolution française, les moines ont été chassé, le couvent dissous et la propriété vinicole vendue aux enchères. Acquise, dans un premier temps, par la famille Guadet, dont l’ancêtre faisait parti des révolutionnaires (il y en a quand même un qui a été guillotiné !) Cette dernière y est restée pendant un siècle. Nassima Benrabia explique « Depuis 1902 (cent vingt ans), la famille Jean en est propriétaire. Vignerons de génération en génération, le premier a été Jean Jean de Saint-Sulpice-de-Faleyrens, puis Berthe, sa fille et sa petite-fille, Rose Noëlle. Depuis 2019, c’est Xavier Jean qui le dirige.1 Au fil des décennies l’exploitation s’est développée, aujourd’hui il y a dix hectares de vignes contre deux au départ. C’est le passage des deux femmes, qui ont tout rénové, étendu le territoire et bonifié le vin pour ressembler à ce que les visiteurs voient aujourd’hui. Le résultat est un grand cru classé depuis 1969, certifié agriculture biologique. » D’ailleurs, la jeune femme est arrivée en 2020 à la demande de Xavier.2 Elle s’occupe de l’offre œnotouristique sur plusieurs axes (visites et dégustations sous plusieurs formes différentes, selon le nombre et les années des millésimes), mais aussi l’hébergement. Sur la route de Libourne, une villa a été entièrement restaurée (ancienne maison pour les ouvriers), elle comporte quatre suites autonomes et une salle de réception attenante, sans oublier le fameux Tuk Tuk3 cent pour cent électrique.

Au sein même du couvent, des transformations ont été effectuées afin de convertir l’endroit en une maison d’habitation.  « Au départ, ce lieu n’a jamais été construit pour accueillir des touristes. J’ai du adapter, c’est intéressant de voir les espaces envisageables pour des repas, des réceptions alors que l’endroit ne s’y prêtait pas ! Nous avons pensé également aux locaux (dans le sens régional) pour dynamiser le territoire. J’ai créé un brunch4 et un cinéma en plein air. Cette année, la nouveauté c’est le comédie-club. Les Bordelais viennent, en grand nombre, se distraire à Saint-Émilion. Chaque visiteur se présente pour des raisons différentes. Par exemple les Espagnols viennent pour l’Histoire et l’architecture. » Il faut dire que cette longue période qu’est le Moyen-âge est fascinante tant dans sa cruauté que dans son extraordinaire génie symbolisé par les grands bâtisseurs.

Lors de votre visite, il vous sera expliqué le fonctionnement des cuves datant entre 1930 et 1940. L’experte en œnologie confirme « Après la Seconde Guerre mondiale, le vignoble s’est agrandi assez rapidement, un mur a donc été cassé pour ajouter une cuve. Les trois en béton qui y sont actuellement ont été choisies, à l’époque, pour deux raisons : La première afin de garder de l’espace et la seconde pour la thermorégulation. Dans le cas celle du milieu aurait un soucis, les autres pourraient l’aider à survivre. Celles en inox (une à l’endroit, une à l’envers) ont été fabriquées sur mesure, il y a six ans. L’idée est de travailler avec précision. Chaque cuve contient une parcelle, un cépage. Elles sont destinées plus particulièrement pour les petits rendements. La cuve du bas favorise l’extraction au moment des vinification de vingt et un jours (quatre-vingt pour cent merlot, quinze pour cent cabernet franc) avec une fermentation alcoolique (transformation du sucre en alcool) et malolactique (stabilité du vin). La cuve du haut, elle, privilégie le mélange des peaux, des pépins et du jus de raisin Les cinq pour cent de petit verdot sont travaillés uniquement en baril de bois également faits sur mesure, en forme d’œuf. Ce jeune cépage, planté en 2010, doit être accompagné, éduqué, structuré pour lui donner un peu plus de corps, car, souvent il apporte un arôme trop vert, trop végétal. Bordeaux est connu pour ses assemblages. C’est dans cet esprit que les trois cépages sont associés. Généralement quand vous buvez un médoc, c’est en majorité du cabernet sauvignon, un saint-émilion, contient en grande partie du merlot. »

L‘ancien dortoir des moines est devenu, dans les années 2000, la salle dans laquelle les vins sont élevés. Plusieurs types de barriques, toutes en chêne français, pour deux vins : La taille bordelaise (deux cent vingt-cinq litres) vieilli seize mois donne le Couvent des Jacobins et dans les tonneaux bourguignons de cinq cent litres, le Menut des Jacobins y reste huit mois. « Chaque année cinquante pour cent des barriques sont neuves, l’autre moitié est réutilisée une seule fois puis retournée au fabricant. » La récompense ultime de ce rendez-vous est la dégustation des deux crus. Un Menut 2018, très fruité dont la belle couleur rouge titillera vos papilles et un Couvent 2016, aux arômes boisés, plus corsé, doté d’une belle robe grenat. L’association avec le chocolat noir à la violette en fera un mariage goûteux.

Assurément, cet agréable et instructif passage fera naître en vous le désir de rester plusieurs jours sur place dans le but de mieux connaître les traditions vigneronnes de ce terroir.

Couvent des Jacobins
10, rue Guadet
33330 Saint-Émilion France
(011.33) 5.57.24.70.66
https://www.couvent-jacobins-saint-emilion.com

1. Photo Xavier Jean : https://www.papillesetpupilles.fr
2. Elle a œuvré pendant cinq ans au château de Kerouane (autre grand cru familial) dans la commune de Margaux.
3. Photo Tuk Tuk : https://www.echos-judiciaires.com/actualites
4. Photo brunch couvent : https://www.couvent-jacobins-saint-emilion.com

 

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